Microsoft vs Sun : la guerre des formats de documents se déplace à l’ISO

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En intégrant le comité chargé de normaliser le format OpenDocument de Sun, Microsoft est accusé de vouloir ralentir les travaux.

La semaine dernière, l’annonce de la participation de Jim Thatcher, un représentant de Microsoft, au sein de l’INCITS (International Committee for Information Technology Standards) au processus de normalisation ISO du format open source OpenDocument (ODF) a fait grand bruit dans la presse spécialisée. On peut légitimement s’interroger sur l’intérêt pour Microsoft de travailler à la certification d’un format concurrent au sien, à savoir Open XML.

Ce dernier sera supporté par la nouvelle suite bureautique Office 2007 attendue à l’automne pour les versions en volume et début 2007 pour les boîtes et ?M (voir édition du 25 mars 2006) alors qu’ODF est déjà utilisé par la suite OpenOffice.org, notamment, depuis sa version 2.0 (voir édition du 21 octobre 2005).

L’arrivée le 16 mars dernier de Jim Thatcher au sein du JTC1/SC34 (sous comité 34 du Comité technique mixte n° 1 ou Joint Technical Committee) a d’ailleurs été perçu par certains comme un moyen pour Microsoft de mettre des bâtons dans les roues de la normalisation de l’ODF. Le JTC1 est le groupe de travail responsable des normalisations des technologies de l’information au sein de l’ISO/IEC (l’organisation internationale de normalisation/Commission électrotechnique internationale). Composé de 6 membres, dont Microsoft et Sun Microsystems (principal contributeur d’ODF), le SC34 est chargé de valider les formats de fichiers (l’ODF dans le cas présent) dans le processus de certification ISO.

Retarder ODF au profit d’Open XML

Si des dirigeants de Sun suspectent, officieusement, Microsoft de vouloir nuire au processus de normalisation, la journaliste spécialisée en droit Pamela Jones n’hésite pas à attaquer ouvertement l’éditeur de Windows. Sur son site Groklaw, elle « imagine » que Microsoft va retarder la certification de l’ODF jusqu’à l’arrivée de celle d’Open XML. Une pure supposition, cependant argumentée, de sa part, reconnaît-elle.

« C’est mal connaître le fonctionnement de l’ISO », répond de son côté Bernard Oughanlian, directeur technologique chez Microsoft France. « Au sein de l’ISO, seuls sont habilités à voter les Etats », explique-t-il à Vnunet.fr. Chaque pays est représenté par un organisme de certification local : l’Afnor pour la France, l’ANSI aux Etats-Unis, le JISC au Japon, etc. Les 27 membres principaux de l’ISO ont obligation de voter et les 39 autres peuvent prendre part au vote, sans obligation. La voix de chaque membre comptant autant que celle du voisin.

Autrement dit, l’influence de Jim Thatcher n’aura que peu d’effet sur le vote final de normalisation de l’ODF. « Aussi grandes soient ses capacités de lobbying », justifie Bernard Ourghanlian, « Microsoft n’aura pas les moyens d’influencer le vote du JTC1 sur l’ODF. » Et ce d’autant que le SC34 dispose de sous-comités « miroirs » dans chaque pays membres de l’ISO. La présence de Jim Thatcher au sein du JTC1 ne permettrait à Microsoft que de préparer le terrain pour l’arrivée de l’Open XML.

ODF normalisé fin 2006

Et comme pour enfoncer le clou, le porte-parole de l’éditeur en France rappelle que Microsoft était membre du comité de travail au sein de l’Oasis (Organization for the Advancement of Structured Information Standards) qui a standardisé l’ODF mais aussi le service Web WS-Security proposé par Microsoft, IBM et Verisign.

L’Oasis est, avec l’Ecma International, un organisme de standardisation qui permet d’accélérer la normalisation ISO des technologies. Selon une procédure baptisée Fast track, ces organisations représentées par des sociétés privées et initiatives communautaires, permettent l’obtention d’une norme ISO en 6 mois (au mieux) au lieu de plusieurs années parfois. A titre d’exemple, « le langage C++ a mis 7 ans pour obtenir la norme ISO », précise Bernard Ourghanlian. « Un record », concède-t-il.

C’est d’ailleurs l’Ecma que Microsoft a choisi pour certifier son propre format de document Open XML (voir édition du 22 novembre 2005) et dont la certification est attendue pour la fin de l’année. Open XML n’obtiendra donc sa norme ISO qu’à la mi 2007, au mieux. Alors que l’ODF pourrait en bénéficier dès la fin de l’année.

C?xistence pacifique

C’est la première fois que Microsoft demande une normalisation de ses formats de documents. « Ça tombe sous le sens dans la mesure où le XML [sur lequel s’appuie Open XML, ndlr] est normalisé », soutient le responsable français. « Mais c’est avant tout un objectif incontournable vis-à-vis de nos clients. On ne peut pas transiger face aux milliards de documents générés sous Office. La norme ISO est gage de pérennité et d’interopérabilité du format. Elle assure aux Etats qu’ils pourront exploiter leurs archives numériques dans cent ans. »

Au risque que Etats et entreprises doivent choisir entre deux formats normalisés ISO, Open XML et ODF. « La coexistence, à mon sens pacifique, sera nécessaire quelques années », estime Bernard Ourghanlian. Pourtant, l’interopérabilité entre les deux est loin d’être parfaite. « Il est impossible de passer de l’un à l’autre par manque de fonctionnalités. » Et de donner pour exemple les équations mathématique de Word ou les tableaux croisés dynamiques d’Excel mal supportées dans OpenOffice.org. Autrement dit, l’un des deux formats devra disparaître à terme. Comme le répète Pamela Jones, « nous pouvons juste attendre et observer ».