Numérique : quel héritage d’Arnaud Montebourg ?

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Faire du numérique une véritable filiale industrielle. C’était la volonté d’Arnaud Montebourg installé à Bercy dans des fonctions ministérielles qui ont évolué en fonction des gouvernements. Mission réussie ?

Arnaud Montebourg a donc « décidé de reprendre sa liberté ». Avec le remaniement annoncé, il va quitter le gouvernement alors que le Premier ministre Manuel Valls (reconduit) présentera sa nouvelle équipe demain.

Que retiendra-t-on du passage d’Arnaud Montebourg à Bercy entre ses fonctions de ministre du Redressement productif dans le gouvernement Ayrault (mai 2012 – avril 2014) puis ses prérogatives ont été élargis à l’économie avec l’arrivée de Manuel Valls à Matignon (avril – mai 2014).

Avec la collaboration de Fleur Pellerin (ex-ministre déléguée chargée des Petites et moyennes entreprises, de l’Innovation et de l’économie numérique) puis d’Axelle Lemaire (secrétaire d’Etat au Numérique), Arnaud Montebourg a cherché à marquer son empreinte dans la sphère numérique à travers les « 34 plans de la nouvelle France industrielle » multi-sectoriels présentés en septembre 2013.

Le ministre souhaitait « redonner le goût de l’industrie et de l’innovation, engager la bataille du Made in France, c’est d’abord croire en nous-mêmes. C’est poser un regard résolument optimiste sur les capacités de notre pays à se redresser. »

Dans le numérique, il avait donné son aval pour développer des pôles et des expertises IT en France dans des domaines comme le numérique avec la nanoélectronique, la réalité augmentée, les objets connectés, les services sans contact, la cyber-sécurité, le cloud computing ou le projet big data.

En juin, il s’était vu remettre par le duo Klaba (OVH) – Breton (Atos) un rapport incluant 10 propositions pour accélérer l’émergence d’une alternative aux services de grands groupes américains comme Amazon, Google et Microsoft.

Arnaud Montebourg s’est également battu pour faire avancer la dimension de la souveraineté numérique de la France, « tant du point de vue économique que sur des enjeux démocratiques ».

Il a marqué son opposition à ce que la France devienne « une colonie numérique » des Etats-Unis. Dans le collimateur, il dénonçait « le monopole de fait de Google sur les moteurs de recherche, qui constituent la porte d’entrée principale vers le web ». « Afin d’empêcher tout abus du pouvoir exorbitant entre les mains de Google, il convient de mettre en place une régulation ad hoc de son monopole », s’enflammait-il au printemps.

Autour de son dernier discours ministériel qui a marqué les esprits le 10 juillet dernier, le fougueux ministre affichait son intention de se servir d’Orange comme « vaisseau amiral porteur de notre révolution numérique et souveraine ». Le ministre n’hésitait pas à suggérer plusieurs pistes de travaux au P-DG de l’opérateur Stéphane Richard : création d’un OS souverain, une alternative à Google Chromecast, un anti-Netflix…

Voire à stopper des négociations stratégiques quand il considérait que les gages proposés par les parties tierces n’étaient pas suffisantes. Le coup d’arrêt des discussions avancées entre Orange et Yahoo à propos de la cession de Dailymotion a marqué les esprits.

En mai dernier, Arnaud Montebourg a aussi été à la pointe d’un décret qui oblige désormais les firmes étrangères à demander le feu vert de l’État avant d’engager des grandes opérations sur des groupes français jugés stratégiques dans les secteurs comme l’énergie, les transports, l’eau, la santé et les télécoms.

Fibre : le chantier avance. Dans la clarté ?

Parallèlement, Arnaud Montebourg a poursuivi à creuser le sillon de la fibre optique mais sans vraiment donner une nouvelle impulsion à ce long chantier (objectif : le débat du déploiement national du très haut débit reste (trop?) technique. Le gouvernement annonçait à la mi-juillet que 56 dossiers de demandes de subventions (représentant 68 départements) ont été déposés par les collectivités territoriales pour bénéficier d’un soutien financier de l’Etat.

Un financement assuré par l’intermédiaire du Programme des investissements d’avenir du Commissariat général à l’investissement. « Ils constituent un investissement de plus de 7 milliards d’euros dans les 5 prochaines années et permettront d’apporter la fibre optique jusqu’à l’abonné (FTTH) à plus de 4 millions de foyers », précise la communication gouvernementale.

Rappelons l’objectif final : 100 % des foyers français doivent disposer d’une solution technique à très haut débit d’ici 2022. Le ministre de l’Economie comptait « accélérer l’équipement de 30 millions de foyers en fibre optique » à travers des dispositions qui auraient été intégrés au projet de loi de croissance et de pouvoir d’achat (avant l’annonce du remaniement, l’examen au Parlement était prévu pour l’automne 2014). Son successeur prendra-t-il le relais ? Là aussi, il faudra attendre

Sur le volet de la régulation télécoms, Arnaud Montebourg a également tenté d’imposer sa vision en prônant le « patriotisme économique ». Vis-à-vis d’Alcatel-Lucent en difficulté financière, il a demandé aux opérateurs télécoms de privilégier les solutions de l’équipementier réseaux français.

Sur fond de recomposition du paysage de la téléphonie mobile, il avait également suggéré un retour à un tableau avec trois opérateurs et poussé à un mariage entre SFR et Bouygues Telecom. On est loin du compte en l’état actuel. Seule certitude : c’est finalement Numericable qui se rapproche de SFR.

On se souviendra également des relations tendues avec l’ARCEP accusée d’avoir trop de prérogatives et des échanges houleux entre le ministre et Xavier Niel, principal dirigeant et fondateur d’Iliad-Free, à propos des offres low cost dans la 4G et des incidences d’une telle stratégie commerciale jugée « destructrice » et antinomique à la sauvegarde de l’emploi dans le secteur.

Innovation : manque de limpidité

Son message n’était pas forcément des plus limpides à propos de l’innovation. Le cheminement est parfois tortueux. Lors de son intervention à la session LeWeb de décembre 2013, le ministre avait tenté d’expliquer qu’il était nécessaire de limiter l’innovation pour adapter le cadre règlementaire et sauvegarder les professions affectés par l’arrivée des nouvelles technologies (le cas d’Uber dans le segment VTC contre les taxis devient un cas d’école). Mais cela s’est transformé en cafouillis de communication à l’époque avec des raccourcis pris sur son intervention globale sur la nécessaire régulation sectorielle.

Evoquer des dimensions politiques de « patriotisme économique » avec la « souveraineté numérique » peut choquer un certain nombre d’entrepreneurs et de groupes Internet influents qui perçoivent uniquement l’Internet comme un horizon de business sans frontières. Malgré les polémiques, reconnaissons à Arnaud Montebourg ses capacités de défendre ses convictions. Non sans un certain panache.

On se souviendra aussi probablement qu’Arnaud Montebourg avait demandé initialement au Président de la République François Hollande un bail de 5 ans (bref tout le quinquennat) pour redresser l’économie de la France en gardant ses attributions au sein de l’exécutif.

Avec la rentrée, tout s’accélère. En exigeant un changement de cap économique radical qui a été perçu comme une fronde au sein du gouvernement, Arnaud Montebourg a oublié son ambitieux pari à moyen terme du redressement.

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