Piratage P2P : la SPPF attaque Azureus et Morpheus en justice

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La société civile des producteurs de musique entend relancer la lutte contre
les échanges illégaux de fichiers de musique en France.

Avec l’entrée en vigueur de la loi du 1er août 2006 sur le Droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information (DADVSI), les producteurs de disques ont pris le temps pour déterminer les angles d’attaques possibles devant la justice face aux pirates. Ils passent maintenant à l’acte.

Mardi 12 juin, la Société civile des producteurs de phonogramme en France (SPPF) a annoncé qu’elle assignait les sociétés Azureus et Streamcast (exploitant du logiciel Morpheus) devant le tribunal de grande instance (TGI) de Paris pour « violation des droits des producteurs de musique qu’elle représente ». Une action similaire devrait prochainement être étendue à l’encontre de la société Shareaza.  » Suite à l’adoption de la DADVSI, nous avons réfléchi à l’opportunité de compléter les actions pénales entreprises auprès des internautes », explique Jérôme Roger, directeur de la société de producteurs musicaux, à l’occasion d’une conférence de presse.

La SPPF reproche à ces éditeurs de fournir des outils permettant d’échanger des fichiers musicaux, notamment, sans l’autorisation des ayants droits. Or, depuis l’adoption de la loi DADVSI, la mise à disposition ou la communication au public, sciemment et sous quelque forme que ce soit, d’un logiciel manifestement destiné à la diffusion non autorisée d’oeuvres ou d’objets protégés est passible de 300 000 euros d’amende et trois ans d’emprisonnement, selon l’article L 335-2-1 du code de la propriété intellectuelle.

Sous contrôle d’huissier

Cependant, la SPPF poursuit les éditeurs au civil, pas au pénal. « Une procédure au pénal est plus complexe à organiser », justifie Jérôme Roger, « et le civil donne d’avantage de latitudes pour la réparation en dommages et intérêts. » La SPPF réclame 16,6 millions d’euros à Azureus et 3,7 millions d’euros à Morpheus/Streamcast. Ces montants correspondent à une évaluation du préjudice subi. Celle-ci a été calculée selon l’exploitation illégales des fichiers mis en ligne sur une durée limitée (une semaine) extrapolée à l’ensemble des 475 000 titres du catalogue de la SPPF. Le tout ramené à un taux de piratage de 1 % (soit 4 750 titres) sur 10 mois (entre le 1er août 2006 et le 30 mai 2007) à raison de 2 euros par titres musicaux (1 euro équivalent au prix de vente et un autre euro pour le préjudice subi).

La surveillance des réseaux d’échanges a été assurée par le prestataire technique Advestigo après obtention, le 3 avril 2007, d’une ordonnance auprès du président du TGI. Laquelle confie à un huissier mandaté la validation des investigations réalisées par Advestigo. « Nous nous sommes entourés de toutes les précautions sur le plan juridique », estime le dirigeant de la SPPF.

La société de producteurs souhaite éviter toute irrégularité de procédure comme les déboires vécus lors des tentatives de mise en place d’un système de surveillance similaire à l’encontre d’internautes. Un système que la Cnil avait refusé en octobre 2005 mais finalement approuvé par le Conseil d’Etat.

Pour la première fois en France

C’est la première fois en France qu’une société de répartition des droits (la SPPF regroupe 970 producteurs indépendants) s’attaque à des éditeurs de logiciels P2P. Qui plus est situées à l’étranger (aux Etats-Unis). La SPPF est cependant consciente des limites de l’exercice. D’abord parce que les premières audiences ne débuteront au mieux que d’ici 15 à 18 mois, selon Me Simon Tahar, avocat de la SPPF. Ensuite, parce que le coup porté à une poignée d’éditeurs n’arrêtera pas les internautes délictueux de se tourner vers d’autres outils de téléchargement P2P. Selon Jérôme Roger, Advestigo aurait identifié 180 logiciels d’échange P2P dont la plupart développés en open source ne reposent sur aucune entreprise commerciale ou structure juridique attaquable.

« Notre objectif est de faire reconnaître la responsabilité des acteurs sur les bases de la loi française et d’obtenir réparation du préjudice causé « , indique Jérôme Roger. Mais selon lui, l’action juridique n’est qu’un « pis-aller ». « Il est urgent d’explorer des solutions complémentaires. » Ces solutions passeraient par l’obtention d’une collaboration renforcée des fournisseurs d’accès Internet (FAI), notamment sur le principe de riposte graduée. Ce système permettrait l’envoi de messages d’avertissement aux internautes contrevenants jusqu’à l’instauration  » d’amendes plus importantes [qu’initialement prévu] » en passant par une suppression du compte d’abonnement Internet si besoin est.

Le retour de la riposte graduée

Présentée dans le cadre de la loi DADVSI, la riposte graduée avait été rejetée par le Conseil constitutionnel. La plus haute instance juridique de France avait estimée contraire au principe d’égalité devant la loi pénale. « A cause du texte de loi mal ficelé », justifie Jérôme Roger qui entend revenir à une révision de la loi en ce sens, notamment de l’article L 34.1 du code des Postes et Communications.

Selon le porte-parole de la SPPF, le gouvernement serait prêt à abonder dans ce sens et attend qu’il ouvre une concertation avec la filière musicale pour aborder l’ensemble des questions du piratage en ligne. La SPPF demande également la mise en place de solutions de filtrage « dès lors qu’elles ne portent pas atteinte à la circulation de contenus à caractères licites ». Enfin, la société de producteurs annonce son intention de prendre des mesures à l’encontre des forums newsgroup et des sociétés qui les exploitent à des fins illégales. Quelques dossiers lourds en perspective pour l’avocat de la SPPF.