R. Maunier (NeoTelecoms) : « Aujourd’hui, dans les réseaux, la valeur c’est l’abonné »

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La neutralité des réseaux sera le débat qui agitera la sphère IT française à la rentrée. ITespresso.fr vous propose de mieux comprendre les enjeux pour les opérateurs, éditeurs de contenus et fournisseurs de services grâce à entretien exclusif avec Raphaël Maunier, spécialiste français des réseaux IP.

ITespresso.fr : En France, alors que le débat s’agite autour de la neutralité du Net, quelle est votre position sur le sujet ?

R. Maunier : Ma position est pour la transparence concernant la gestion (filtrage, priorisation) des flux. S’il y a filtrage pour des raisons techniques ou légales, il faut que cela soit clairement annoncé et publié. Le filtrage n’est pas un problème en soit, il est important de pouvoir proposer une solution qui respecte l’individu et l’appliquer sans impacter l’ensemble des utilisateurs, au-delà des problèmes humains et légaux, pour protéger votre infrastructure contre d’éventuelles attaques. Dans un tel cas, vous pouvez être amener à appliquer un filtrage.

Les dérives que nous voyons sur le filtrage sont alarmantes. On ne cesse de nous brandir la menace des sites pédo-pornographiques comme étant la source de tous les maux sur Internet, et cela est vraiment consternant. La vraie raison est de faire bonne figure vis-à-vis des majors pour protéger leurs revenus. N’importe quel opérateur, ou même humain qui verrait du contenu portant atteinte à la dignité humaine, fera le nécessaire pour le bloquer, le faire retirer, même en mettant en péril son emploi. Les demandes du gouvernement sur ce sujet pour mettre en place des solutions de filtrage sont grotesques et irréalisables tant du point de vue financier que technique.

Si filtrage il doit y avoir, cela doit se faire au « endpoint » (dans la box opérateur par exemple) et non pas dans le cœur du réseau.

En plus d’être complètement en décalage avec la réalité, le financement des réseaux n’a aucun rapport avec la neutralité. De plus, les propositions que les décideurs proposent en l’état actuel sont un frein au développement, donc en contradiction avec le principe même de neutralité !

ITespresso.fr : Quel est le point qui vous interpelle le plus ?

R. Maunier : L’un des points qui m’interpelle est la partie concernant la priorisation des données. Lorsque je construis un réseau IP, pour du pur accès Internet, je ne fais aucune différenciation sur le type de contenu. Si un client souhaite gérer correctement son trafic, en règle générale, il prend des liaisons dédiées pour monter ses réseaux privés virtuels (VPN) afin d’y faire passer ses données, et demande à son opérateur de classifier son contenu… Mais là encore, c’est le client qui décide, pas l’opérateur.

Dans la proposition de Google et Verizon, les nouveaux axes d’accord entre opérateurs et site de contenus pourraient amener à la création de nouvelles offres qui pourraient déboucher sur des dérives de priorisation de trafic. Pour ma part, lorsque à titre personnel, je prends un abonnement Internet, je n’ai pas envie de me retrouver obligé de prendre tel ou tel service de vidéo à la demande car la qualité de service sera meilleure parce que le diffuseur a négocié au mieux avec mon opérateur.

Par contre, que ce fournisseur fasse plus de communication sur le fait qu’un accord global a été signé entre les deux parties pour éviter une saturation pourquoi pas ? Mais la classification sur le cœur pour favoriser un fournisseur plutôt qu’un autre, cela va clairement à l’encontre de la neutralité des réseaux.

Notez que nous n’avons parlé que des réseaux fixes alors que le filtrage existe d’ores et déjà sur les réseaux mobiles. Bizarrement, dans la proposition de Google/Verizon, il est dit qu’il ne faut pas toucher à ces réseaux car ils ne sont pas encore matures. En d’autres termes, le message caché est de ne surtout pas toucher à la vache à lait des opérateurs.

Si les opérateurs filtrent Skype ou le protocole SIP sur les réseaux mobiles alors que cela consomme clairement moins de ressources que le trafic Web, c’est parce qu’ils perdraient trop d’argent et non pas parce que les réseaux ne le supporterait pas !

(lire la fin de l’interview page suivante)

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