République numérique : le Sénat a décortiqué l’économie de la donnée

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Le projet de loi numérique adopté ce 3 mai par le Sénat a fait l’objet, la semaine passée, de nombreux amendements sur le volet « économie de la donnée ».

Systèmes de licences, transmission des codes sources, utilisation de logiciels libres et de formats ouverts, évaluation des risques pour la vie privée… L’économie de la donnée est au cœur du  projet de loi « Pour une République numérique », que le Sénat a adopté ce mardi 3 mai en première lecture, par 323 voix pour et 1 contre.

La Chambre Haute avait examiné ce volet data les 26 et 27 avril derniers.

Elle y avait apporté de nombreux modifications destinées entre autres à clarifier le champ d’application de l’ouverture de données imposée aux administrations pour l’accomplissement de missions de service public.

Ainsi l’amendement 211, déposé par Jean-Pierre Sueur (PS, Loiret) prévoit-il une exception pour les personnes morales dont le nombre d’agents ou de salariés est inférieur à un seuil qui sera fixé par décret.

Objectif : ne pas surcharger les plus petites collectivités, « d’autant que tout le territoire n’est pas couvert par le haut débit », comme l’a rappelé Alain Vasselle (UMP, Oise).

Toujours sur cette question du périmètre d’application, le Sénat a rejeté, suivant l’avis défavorable de la secrétaire d’État au Numérique Axelle Lemaire, cet amendement qui proposait de restreindre à l’État, aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics l’obligation de communiquer entre elles les documents administratifs qu’elles détiennent.

Il s’agissait là d’exclure les administrations qui sont des personnes morales de droit public ou de droit privé ayant en chargé un service public industriel et commercial (SPIC) dans un secteur exposé à la concurrence. C’est-à-dire des acteurs comme la RATP, la SNCF ou des entreprises privées gérant l’eau et l’assainissement.

Formats et licences

Autre amendement écarté : une proposition d’étendre la gratuité des échanges de données entre administrations aux collectivités territoriales et à leurs groupements avec, en contrepartie à la perte de recettes associée, une majoration des dotations globales de fonctionnement.

Selon Axelle Lemaire, cela aurait représenté « à court terme, une perte sèche pour l’État [et] à moyen terme, des charges nouvelles pour [les collectivités] ».

D’autres limites ont été posées à l’ouverture des données. Par exemple, via l’amendement 213, la possibilité, pour une administration, de s’opposer à une publication si les documents demandés n’ont pas fait l’objet d’un « nombre significatif de personnes » (« nombre » restant à définir).

Ou encore via l’amendement 216, qui impose une évaluation du risque que la publication potentielle des bases de données de l’administration fait peser sur les individus.

Jean-Yves Leconte, sénateur PS des Français établis hors de France, approuve : « Une véritable politique de l’open data […] supposer d’évaluer le risque […] comme le recommandent la CNIL et son équivalent britannique ».

Dans ce même esprit, l’amendement 219 établit un principe de licence de réutilisation pour protéger contre les risques d’identification des personnes. Quand au 526, il oblige toute administration recourant à des traitements algorithmiques à en notifier explicitement les administrés.

Concernant le processus même d’ouverture des données, le 223 a rétabli un article 9 ter qui encourage « l’utilisation des logiciels libres et des formats ouverts lors de développement, de l’achat ou de l’utilisation des systèmes d’information [des administrations] ».

« C’est un enjeu de souveraineté, une garantie de souplesse et d’adaptabilité, de maîtrise technologique, de pérennité des données, d’indépendance à l’égard des fournisseurs », résume Jean-Pierre Sueur, dépositaire de l’amendement.

On ouvre tout ?

Un amendement longuement discuté et finalement adopté fut le 581, qui élargit la communication des données aux jugements, ordonnances, décisions ou arrêts rendus par les juridictions de l’ordre judiciaire ou administratif.

Parmi ses partisans, Évelyne Didier. Pour la sénatrice PCF de Meurthe-et-Moselle, « moins de 1 % des décisions de juridictions de première instance et d’appel sont disponibles sur Légifrance. Le reste est vendu à divers abonnés. […] Il n’est pas normal de devoir payer pour accéder à la jurisprudence de son pays ».

Du côté d’Alain Richard, (PS, Val-d’Oise), on estime que « la publication en ligne généralisée […] ne produira qu’une masse informe et confuse. Les jugements disponibles le sont car ils ont été analysés et interprétés […], ce qui représente un travail préalable intense et très qualifié ».

Peu de débat, en revanche, sur le 335, qui stipule que les établissements publics administratifs financés par la puissance publique ne peuvent se prévaloir d’un droit de producteur de bases de données pour empêcher toute réutilisation de données communicables.

Corinne Bouchoux (EELV, Maine-et-Loire) a tenu à rassurer sur ce point : « Les données de la recherche inachevées ou couvertes par le secret en matière industrielle ou commerciale ne sont pas communicables ».

Cette ouverture des données des institutions publiques vise à faciliter la création, par les start-up et PME françaises, de services à valeur ajoutée, à l’heure où Google et consorts tirent un énorme bénéfices de la data (Axelle Lemaire évoque un « oligopole » des GAFA).

(Crédit photo : copie écran Sénat.fr)

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