Stephane Van Gelder (gNSO) : « Le modèle ICANN à peaufiner mais certainement pas à remplacer »

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Fondateur du bureau d’enregistrement INDOM et membre du gNSO (ICANN), Stéphane Van Gelder revient sur la récente affaire de désactivation massive de noms de domaine aux Etats-Unis. Elle touche la gouvernance du Net.

ITespresso.fr : Dans l’affaire Mooo.com, 84 000 sites ont été mis hors ligne sans avertissement. Comment les autorités américaines ont procédé pour aller si vite, quitte à s’emballer ?
Stéphane Van Gelder : C’est l’illustration des risques que je viens d’évoquer. L’ICE, rattachée au Homeland Security, a passé outre le système de nommage traditionnel de l’ICANN. Lorsqu’un nom de domaine est enregistré, c’est le registrar qui dispose des coordonnées directes de l’acheteur. Or l’ICE n’a pas respecté cette organisation. Elle a frappé directement à la porte du registre de l’extension concernée (en l’occurrence le « .com » géré par la société américaine VeriSign). Elle a considéré que ce serait plus facile d’arriver à ses desseins. Or VeriSign ignore tout des propriétaires des noms concernés. Ses clients sont d’abord les bureaux d’enregistrement, pas les clients finaux qui achètent des noms de domaine par leur intermédiaire. VeriSign ne pouvait donc rien savoir sur l’identité des exploitants des noms de domaine concernés dans cette affaire. En recevant l’injonction de la justice, VeriSign a donc désactivé des noms sans avoir la moindre idée de ce qu’il y avait derrière. Les propriétaires des noms n’ont pas été consultés. Ils se sont simplement réveillés un matin avec, à la place de leur site, une page menaçante affichant le logo de l’ICE. Si le registrar de Mooo.com avait été impliqué dans cette opération, il aurait pu expliquer que ce site offrait en fait des services d’hébergement DNS gratuits. L’ICE n’a vu qu’un site à caractère pornographique avec Mooo.com, alors que service était associé à plus de 80 000 autres sites. L’ICE a réagi très vite en rétablissant le service dès le lendemain. Mais le mal était fait.

ITespresso.fr : Pour mieux gérer Internet, souhaiteriez-vous que l’ICANN soit placée sous tutelle de l’ONU ?
Stéphane Van Gelder : Bien au contraire ! Pourquoi faire ? Entre le 28 février et le 1 mars, j’ai participé à Bruxelles à une réunion entre les représentants des gouvernements et l’exécutif de l’ICANN. Le but était d’essayer de trouver un terrain d’entente sur certains aspects du programme de création des nouvelles extensions. L’ICANN a globalement achevé son travail de préparation de ce programme. Mais les gouvernements bloquent toujours car ils ont des avis qui sont parfois très éloignés de ceux du reste de la communauté. S’ils étaient seuls à la barre, je pense qu’on ne discuterait même pas de l’éventualité d’ouvrir l’Internet à l’arrivée de nouvelles extensions. Pourtant il s’agit d’un espace qui appartient à tout le monde, alors pourquoi ne pas y installer plus de diversité ?

ITespresso.fr : Que préconisez-vous ?
Stéphane Van Gelder : A mon avis, la gouvernance de l’Internet est un modèle qui pourrait inspirer d’autres secteurs. Et non l’inverse. Je n’ai pas envie que l’ICANN bascule vers une gouvernance plus traditionnelle – j’ai presque envie de dire « ancien monde » – comme celle de l’ONU. Le dynamisme de l’Internet n’a jamais été stimulé par les gouvernements, mais toujours par les autres. Le Web a été créé par le monde de la recherche. Il a été développé par le secteur privé. Il a été transcendé par une nouvelle génération de génies dont les figures emblématiques sont Google, Facebook ou Twitter. L’ICANN est un modèle de gouvernance à l’image de ce dynamisme. Il n’est certes pas parfait, mais il est tellement jeune. Rappelons-nous qu’une décennie, à l’échelle des instances de gouvernance mondiales historiques comme l’ONU, ce n’est rien. Donc le modèle ICANN est certainement à peaufiner, mais pas à remplacer.

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