Apple, plus standard que jamais ?

Mobilité

La firme à la Pomme a longtemps souffert d’un complexe l’éloignant des solutions standardisées de l’industrie informatique. Le syndrome des technologies « maison ». Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, aussi bien au niveau matériel que logiciel. Au risque de perdre son âme ?

Un monde sépare la Pomme du milieu des années 90 et celle d’aujourd’hui ! Tant au niveau matériel que logiciel, Apple se tournait sur elle-même pour trouver les composants nécessaires. Mac OS servait de boîte noire pour masquer l’esprit inventif des développeurs de la firme et ses inventions brevetées, quand le matériel tournait sur une base jamais réellement standardisée. Une expérience de standardisation matérielle a bien été tentée avec la plate-forme CHRP (Common Hardware Reference Platform), au moment où Apple avait ouvert la porte au clonage de ses machines. Mais le seul ordinateur entièrement conçu autour de cette architecture par Motorola est resté mort-né. Steve Jobs l’a condamné en refermant la porte aux cloneurs. Dans ses années glorieuses, où elle détenait un pourcentage à 2 chiffres du marché de l’informatique, la firme a conçu nombre de technologies « maison » comme le port ADB (Apple Desktop Bus), la connexion NuBus ou encore le modem Geoport. De même dans le domaine logiciel, Mac OS fut longtemps basé sur des excroissances typiques de l’enfermement culturel de Cupertino, comme Open Document, QuickDraw ou même AppleTalk. Aujourd’hui, cette pratique est quasi abandonnée.

Des composants logiciels adaptés par Apple

Le point de retournement de cette logique d’innovation « maison » date du tournant entre 1996 et 1997. A cette date, une période de forte transition vers des technologies extérieures à la firme a débuté. Elle coïncide avec le rachat de NeXT, la seconde société de Steve Jobs. Dans le domaine logiciel, la modification est nette entre Mac OS dans sa version classique, et Mac OS proposé par l’équipe de développement de Rhapsody (qui a débouché sur Mac OS X). Aujourd’hui, la partie applicative réellement signée Apple restant dans Mac OS X concerne les interfaces de programmation (API) dites Carbon. En parallèle, les API Cocoa, sur lesquelles se fondent les nouveaux logiciels pour Mac, reposent sur les technologies Objective C et Java. La première est un héritage de NeXT quand la seconde provient de Sun. D’Apple dans Mac OS X, il ne reste donc plus que les « anciens » composants permettant de faire tourner les « vieux » logiciels ou leurs versions « revisitées » pour profiter des nouvelles fonctionnalités du système. On peut aussi compter la technologie multimédia QuickTime et l’ensemble interface-moteur de rendu graphique, baptisés Aqua et Quartz, mais qui l’un comme l’autre font appel à des technologies extérieures (PDF et OpenGL). Le coeur du système est ouvert : il s’agit de Darwin, dont le code source est en accès libre.

Côté matériel, la firme a modifié entièrement son jeu : les composants électroniques sont standard presque de bout en bout. La connectique : FireWire (IEEE 1394), USB, Wi-Fi (IEEE 802.11b), Ethernet. Les cartes graphiques et les sous-systèmes proviennent des mêmes fournisseurs que ceux qui sont utilisés sur les PC. Seule l’architecture RISC, ainsi qu’un connecteur vidéo numérique ADC (Apple Display Connector), que la société cherche à imposer hors de son marché sans succès jusqu’à maintenant, restent spécifiques.

Vers de nouveaux partenaires ?

Il s’agit d’une véritable révolution, qui s’est jouée en un peu plus de cinq ans. Et elle n’est pas terminée puisque même QuickTime devrait incorporer les codecs MPEG-4 utilisables par tous les acteurs du marché et destinés à homogénéiser l’offre de diffusion de médias sur Internet. Mais au-delà ? Y a-t-il une limite à cette intégration ? Apple ne peut vendre d’ordinateurs innovants, aux tarifs qu’elle propose, sans se démarquer profondément. Elle le fait en appuyant son offre matérielle sur des applications qui tirent parti de son architecture RISC spécifique. Consommant peu, calculant vite, permettant les plus importantes extravagances en matière de design, le processeur PowerPC du Mac est le coeur de l’offre d’Apple. Il s’agit donc du dernier composant à modifier ou à remplacer. Et si la firme le faisait un jour, ce ne serait certainement pas pour la plate-forme X86, qui ne lui permettrait pas de se démarquer suffisamment de ses concurrents sur ses points forts. Il faut donc se rendre à l’évidence : Apple est arrivée au bout de ce qu’elle était en mesure de standardiser. Ses offres sur les dernières machines montrent à quel point elle a fait un pas en avant pour réduire la perception de produit fermé qui lui était reprochée. Désormais, Apple va devoir se tourner principalement vers ses fournisseurs pour tenir sa promesse de valeur et vers des partenaires pour augmenter le service apporté à ses clients. Dans le domaine des serveurs par exemple, l’idée d’une offre Sun-Apple court le Web, tout autant qu’un partenariat avec IBM. Avec le premier, la firme pourrait proposer une offre de machines de bureau prenant appui sur les serveurs Sun, tandis qu’elle pourrait proposer Mac OS X sur des serveurs IBM mus eux aussi par des processeurs PowerPC ! Une façon de sortir du dilemme dans lequel elle se trouve actuellement en ne proposant aucune solution serveur à ses clients. Une vrai révolution « maison » !