Conflits sur les noms de domaine : l’Icann montrée du doigt

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L’un des quatre fournisseurs de services de résolution de conflits entre détenteurs de noms de domaine renonce à cette activité. eResolution met en cause la politique de l’UDRP, la procédure définie par l’Icann, qui permet aux demandeurs de saisir le service de leur choix.

La procédure de résolution de conflits entre détenteurs de noms de domaine adoptée par l’Icann (Internet corporation for assigned names and numbers) est régulièrement critiquée. L’UDRP (Uniform dispute resolution policy) est en particulier accusée de permettre de favoriser les détenteurs de marques. Les personnes ou les sociétés engageant une telle procédure peuvent choisir leur centre d’arbitrage parmi les quatre « conventionnés » par l’Icann. Ou plutôt ils pouvaient choisir entre quatre, car l’un d’entre eux, eResolution, jette l’éponge. Il renonce à fournir ce service devant le manque de clients, ces derniers préfèreraient se tourner vers l’Ompi (Organisation mondiale de la propriété intellectuelle) ou le Naf (National arbitration forum, basé aux Etats-Unis). Le quatrième centre d’arbitrage, le CPRADR (CPR institute for dispute resolution, basé aux Etats-Unis) étant pour sa part plus discret et moins cité. Dans un communiqué daté du 30 novembre, eResolution annonce sa décision en affirmant sa volonté de « consacrer ses efforts sur le volet du développement de logiciels ». Mais eResolution pointe également du doigt la « controverse » qui entoure l’UDRP, soulignant le « phénomène de ‘forum-shopping’ qu’elle semble avoir engendré ». En cause : l’« accréditation de l’Ompi » qui, rappelle eResolution, « s’est chargée de préparer l’ébauche de l’UDRP », et serait « venu menacer (l’)équilibre fragile (entre les divers fournisseurs accrédités) ».

Trois critères de plainte

L’UDRP a été mise au point, à partir d’un rapport commandé à l’Ompi par l’Icann, pour permettre aux détenteurs de marques de récupérer leurs noms de domaine sans passer par une procédure juridique longue et complexe. Elle ne concerne que le cas d’un détenteur de marque attaquant une personne ne possédant pas le droit d’exploiter la marque en question et ne se penche pas sur les conflits impliquant des noms de personnes (en dehors des célébrités dont le nom peut être assimilé à une marque), les noms de médicaments, de la plupart des pays ou de lieux et les organisations gouvernementales. Certains ccTLD (noms de domaine de premier niveau correspondant à des pays) sont soumis aux règles de l’UDRP ; de même, l’Icann a exigé que les nouveaux TLD (« .biz », « .info »…) le soient. L’UDRP a été adoptée formellement en octobre 1999. Trois critères doivent être remplis : le nom de domaine enregistré par le détenteur doit être identique – ou semblable au point de prêter à confusion – à une marque de produits ou de services sur laquelle le requérant (la personne physique ou morale qui dépose la plainte) a des droits ; le détenteur du nom de domaine ne doit posséder aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache ; enfin, le nom de domaine doit avoir été enregistré et être utilisé de mauvaise foi. La procédure n’interdit pas de porter le conflit devant un tribunal, avant ou après la résolution par le biais de l’UDRP.

Jugements impartiaux ?

Plusieurs études dénoncent le système, estimant qu’il peut être manipulé de manière à favoriser les détenteurs de marques. Ainsi en août dernier, Michael Geist, professeur à l’université d’Ottawa, publiait une étude basée sur l’analyse de la résolution de plus de 3 000 conflits. Son travail souligne que neuf requérants sur dix ont choisi l’un des deux centres d’arbitrage leur offrant le plus de chances de gagner. Il insiste également sur le fait que les centres seraient enclins à confier la résolution du conflit à des juges favorisant les détenteurs de marques. L’étude montre que plus de la moitié des affaires confiées au Naf ont été conduites par six juges alors que le centre en compte 130. Le record est détenu par James Carmody qui, à lui seul, s’est occupé de pas moins de 140 cas, rendant 95,7% de ses décisions en faveur des plaignants. Le Naf se défend en expliquant que la moitié des cas ne prêtent pas à contestation ce qui expliquerait que peu de magistrats souhaitent s’en saisir. Michael Geist met également en cause la possibilité que le conflit soit examiné par un ou trois juges. Moins de 10 % des affaires sont traités par trois, elles donnent raison au plaignant dans 60 % des cas, contre 83 % quand un seul juge est chargé du dossier. Les travaux de Michael Froomkin, professeur à l’université de Miami, et de Scott Donahey, membre du CPRADR et du conseil d’administration de eResolution, soulignent également les failles du système de l’UDRP. L’Ompi elle-même a récemment alerté les gouvernements sur le manque de protection dont bénéficiait leur nom de pays, et plus généralement les noms de personnes, de lieux géographiques, etc. en comparaison des noms de marque. On le voit encore ici : le système des noms de domaine et leur gestion peine à se mettre en place. La route est encore longue.