Faut-il taxer les achats en ligne?

Mobilité

Alors que la réunion de l’OMC n’a pas permis de renouveler le moratoire sur la taxation des achats internationaux en ligne, le débat est engagé aux Etats-Unis, sous la pression des gouverneurs inquiets de voir leurs recettes diminuer avec l’essor du commerce électronique.

Jusqu’à présent, tout était simple. Les Etats-Unis avaient choisi de bannir toute taxe sur les ventes en ligne, histoire de ne pas freiner l’essor annoncé du commerce électronique. Sur un plan international, les Etats s’étaient entendus pour un moratoire qui devait être renouvelé lors de la conférence de l’OMC à Seattle. Faute de consensus, aucun accord n’a été signé. Vu des Etats-Unis, les autorités considèrent que le moratoire reste effectif tant qu’un nouveau texte n’a pas été discuté. Vu de Bruxelles, il est caduc puisque sa date d’expiration a expiré. Cela laisse augurer de belles joutes oratoires entre les deux côtés de l’Atlantique.

Longtemps présentés comme les chantres d’un Internet vierge de toute emprise des gouvernements, les Etats-Unis n’affichent plus l’unanimité qui prévalait il y a deux ou trois ans. Alors que le gouvernement Clinton semble partisan d’un moratoire limité face au penchant pour un bannissement pur et simple affirmé par les leaders d’un Congrès à majorité Républicaine, les gouverneurs de tous bords commencent à hausser le ton. D’ici à 2003, ce sont en effet près de 3 milliards de dollars de taxes qui devraient leur échapper pour cause de transfert des ventes du commerce de détail à Internet, soit un peu moins de 2% des impôts qu’ils collectent. Qu’on le veuille ou non, le commerce électronique ne génère pas de richesse chez le consommateur, et tout achat en ligne est un achat de moins dans le commerce de détail.

Deux sondages contradictoires viennent compliquer le débat qui s’est ouvert outre-Atlantique. Commandé par des associations de responsables de collectivités locales américaines, la première étude montre que 72% des contribuables américains estiment que l’absence de taxes fausse la concurrence entre les sites de commerce électronique et les magasins de détail. Un écart de prix qui oscille entre 4% à 8% suivant les Etats aiguise l’intérêt des consommateurs pour la vente en ligne. Que dire de l’impact d’un Internet sans taxes en Europe, où la TVA est beaucoup plus élevée et atteint 20,6% en France pour la plupart des biens et services? Un second sondage, effectué dans le seul Iowa, affirme que la moitié des américains souhaitent que les taxes soient bannies du réseau.

Le Congrès américain a nommé une commission chargée d’entendre les adversaires et les partisans de la détaxation d’Internet avant de faire des propositions. De nombreuses tendances se sont retrouvées à San Francisco pour deux journées de débat. Si deux idées, pour et contre la taxation des achats en ligne, s’opposent, les argumentaires sont très variés. Dans les rangs du « contre » se mêlent partisans d’un libéralisme à tout crin, militants de la suppression des impôts et hommes d’affaires persuadés que la taxation risquerait de tuer la poule aux oeufs d’or. En face, les responsables politiques locaux et les commerçants traditionnels s’inquiètent de la distortion de concurrence et de la diminution de leurs ressources. Ils militent pour la mise en place d’organismes privés chargés de collecter les impôts sur la vente en ligne auprès des sites de commerce électronique. Ils seraient rémunérés par un prélèvement sur les fonds récupérés.

Une voix est venu troubler le discours du lobby Internet. Le vice-président de MCI WorldCom, l’un des géants des infrastructures Internet explique que la non-taxation n’est pas le principal atout du commerce électronique. « Vous pouvez faire vos courses à minuit si vous en avez envie« , a expliqué le trouble-fête au Washington Post.

En Europe, la question des taxes sur Internet reste confinée aux discussions entre les gouvernements et la Commission de Bruxelles. On ne peut qu’espérer que le débat sera porté sur la place publique pour que les citoyens puissent s’exprimer et choisir entre un Internet sans taxes, au risque de réduire les moyens d’action des Etats, et un Internet taxé qui provoquera une concurrence accrue avec les commerçants en ligne américains. Car, en matière de commerce international, Bruxelles et les Etats-Unis se retrouvent sur une position libéraliste commune, face aux pays du tiers-monde, inquiets des effets dévastateurs du commerce électronique sur leurs économies fragiles.