Vers une consolidation du marché informatique ?

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Hispano-Suiza, Talbot, Panhard-Levassor… Nombre de grandes marques de voitures ne représentent plus rien aujourd’hui dans le paysage automobile français ! La raison ? La consolidation du marché, une fois le stade de maturité arrivé. Le ralentissement actuel pourrait initier un tel mouvement dans le secteur informatique. Les marques les plus résistantes resteront debout. Quelles chances ou quels risques pour Apple ?

Se souvient-on encore des Panhard, Talbot et autres Hispano-Suiza ? Ces marques sont entrées dans l’histoire et leurs voitures font désormais l’objet de collections. En fait, les années passant, la concurrence et les accidents économiques élaguent sérieusement les différents secteurs économiques, phénomène appelé consolidation. L’informatique est-elle en train de prendre cette voie ? Quelles firmes résisteraient à cette tendance ? La question se pose à la lumière de ce que doit affronter actuellement le constructeur de PC Gateway. Celui-ci est pris entre le marteau et l’enclume, entre la guerre des prix engagée par son plus puissant concurrent, Dell, et le violent coup de frein de l’économie. Il se voit obligé de subir une cure de remise en forme des plus drastiques. Fermeture de filiales, réduction d’effectifs, Gateway est l’exemple type de ce à quoi doivent s’attendre les constructeurs aux coûts prohibitifs et aux ventes en chute. Malheur à eux s’ils relâchent, ne serait-ce qu’un instant, leur attention ! Du coup, le dégraissage massif de ce constructeur fait penser qu’il se prépare à se faire racheter. Le rachat des sociétés est l’un des instruments typiques de la consolidation sur un marché, avec la fusion. Reste un problème à la consolidation des firmes : où se niche la valeur qu’elles peuvent apporter ? En informatique, relevons trois points : les logiciels (systèmes d’exploitation et applications) d’une part. Les constructeurs de PC n’apportent pas cette valeur ajoutée en soit, puisqu’elle est généralement maîtrisée par Microsoft. Le deuxième facteur de création de valeur est plus trivial, il s’agit de l’approvisionnement des clients dans les délais qu’ils attendent. Réussir cet approvisionnement, c’est gagner et garder ses clients. Le troisième élément, c’est l’impact de la marque, comme peu en avoir une boisson gazeuse, une pâte à tartiner ou un yaourt.

Du coup le secteur informatique pose un problème en matière de consolidation : aucune firme ne réunit ces critères pour l’instant. Dell, le premier mondial ? Le spécialiste de l’approvisionnement n’est pas un innovateur. Il a essentiellement introduit trois innovations sur le marché : le premier ordinateur tournant sur x486, l’architecture EISA et le premier écran couleur pour ordinateur portable. Depuis ? Si Michael Dell revendique l’introduction des transmissions sans fil, la firme l’a embarqué dans ses machines plus d’un an après Apple ! La marque Dell alors ? A retravailler encore en profondeur. Le constructeur est apprécié pour l’ajustement de ses prix avant tout. Mais la qualité de ses produits laisse à désirer. Le rappel de plusieurs centaines de milliers de portables il y a quelques semaines en est un exemple. Les autres constructeurs de PC ? Ils ont un problème de poids, leur réseau de distribution ! Impossible de réagir vite quand on approvisionne des centaines de magasins dans le monde. C’est la raison pour laquelle Dell a été capable de se hisser à la première place. Ses concurrents ne sont pas assez dynamiques et entassent leurs machines. Compaq, autrefois à suivre, emmagasine ses PC pendant plus de trente jours auxquels il faut ajouter à nouveau près de trente jours de stocks chez ses distributeurs ! Les machines arrivant au client sont vieilles de plus de deux mois alors que les prix des composants baissent toutes les semaines. Les autres constructeurs de PC ne font pas bien mieux !

Apple ? Trop spécifique pour consolider le marché

Côté marques, peu de fabricants peuvent se prévaloir d’une image forte : seuls les deux inventeurs initiaux de l’informatique, IBM et Apple, sont reconnus immédiatement. Big Blue et la Pomme. Tous deux sont synonymes de qualité, mais tous deux sont à l’écart. IBM s’est déjà retiré de la vente de PC au détail aux Etats-Unis. Une consolidation du marché autour de lui ne paraît pas envisageable. Quant à Apple, elle n’a pas encore totalement modifié la structure de sa distribution et est encore freinée par les stocks de ses revendeurs : environs quatre semaines. Sa logistique reste donc encore immature. Pour cette raison, l’apparition de ses magasins est un geste stratégique fort qui devrait modifier la répartition de ses revenus et diminuer ses stocks (voir édition du 12 juin 2001), et peut-être aussi augmenter sa part de marché… Mais une consolidation serait difficile autour de la marque de la firme : sa spécificité l’a mise véritablement à part. Alors ? La consolidation du secteur informatique sera sans doute laborieuse : côté PC, seul IBM pourrait vraiment faire cristalliser un pôle face à Dell. HP ? Gatewaty ? Peu ou pas de synergies ni de valeur ajoutée.

Pour Apple, malgré un trésor de guerre immense (presque autant que Dell, alors que la Pomme ne représente pas 5 % du marché des ordinateurs !), aucun rachat de fabricant ne serait satisfaisant : elle ne pourrait pas en tirer d’avantage réel. Et si la firme était une proie ? Ce serait pour sa marque et son système d’exploitation. Mais dans le rachat, la marque y perdrait son âme (l’intégration logiciel-matériel) et sans doute en même temps ses très fidèles clients. Rachat périlleux pour un prédateur ! Résultat : il faut attendre un nouvel équilibre sur le marché. Et de regarder à nouveau du côté des logiciels ! La standardisation du marché par le biais du système d’exploitation de Microsoft a échoué. Elle conduit à un monopole insupportable et surtout à une réaction épidermique de rejet par les consommateurs. Le mouvement des logiciels libres, la réussite de Linux et le rempart créé par Apple durant des années ont empêché l’uniformisation. Le rebond du marché par le biais d’un bon logiciel système ? Sans doute, à condition qu’il soit simple d’utilisation, compréhensible immédiatement et « moderne ». Un tel système n’existe pas aujourd’hui selon Jeff Raskins (voir édition du 12 février 2001), le concepteur du premier système d’exploitation pour Macintosh qui a inspiré le reste de l’industrie. Le marché de l’informatique risque donc de continuer à se chercher encore longtemps… Toutefois, la diversité d’Unix et de ses variantes pourrait au moins augmenter la valeur ajoutée des constructeurs, s’ils en incluaient une version sur leurs machines, à l’instar de Sun avec Solaris, de SGI avec Irix, d’IBM avec Linux ou d’Apple avec Mac OS X. Mais il faudrait pour cela des versions grand public plus conviviales et faciles à utiliser…