Alex Türk (CNIL) : « Vie privée : nous attendons des éléments complémentaires de Google Street View »

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Le Président de la CNIL est favorable à la proposition de loi pour « restreindre l’immixtion des moteurs de recherche dans la vie privée ». Il rebondit sur un autre sujet tout aussi délicat : l’identité numérique.

ITespresso.fr : Vous estimez que le droit à l’oubli est à prendre en compte ?
Alex Türk : Le droit à l’oubli, ce n’est pas seulement les informations que l’on donne soi-même sur un réseau social. C’est aussi pour moi le droit à l’incognito c’est-à-dire le fait que j’habite à tel endroit et cela ne regarde personne. Ces services peuvent constituer un danger car ils permettent de faire des repérages et donner lieu à des initiatives de délinquance.

ITespresso.fr : Est-ce que ce dossier ne pose pas une remise en question du droit à l’image et la prise de vue sur le domaine public ?
Alex Türk : Non. Et je fais une distinction. Ce qui pose avant tout problème, ce n’est pas tant le fait de prendre en photo une habitation ou d’une personne. C’est l’usage que l’on en fait ensuite qui pose problème. En l’occurrence, le mettre en ligne sur un réseau et le fait que la planète entière puisse en prendre connaissance. Je pense qu’il est parfaitement possible de concilier les règles liées à la liberté de la presse. A la condition que cela n’aboutisse pas à la désanonymisation d’une personne à son insu. D’ailleurs, on constate que sur les télévisions aujourd’hui, on floute souvent les personnes qui sont dans les reportages.

ITespresso.fr : Cet encadrement permanent des services « innovants » au nom de la défense de la vie privée n’est-il pas un danger pour l’innovation justement ?
Alex Türk : Je ne crois pas. Car on entre dans une société différente de celle que nous connaissons. Si l’on prend l’ensemble des problèmes, alors il y a une synergie qui peut être extrêmement dangereuse. Il n’y a pas que ce qui se passe sur la toile, les moteurs de recherche et les réseaux sociaux. Il y a aussi les problématiques liées au suivi des personnes (biométrie, vidéo surveillance, la géolocalisation par les puces RFID,…) mais aussi les nanotechnologies, les systèmes permettant de repérer quelqu’un dans l’espace et dans le temps (c’est à dire les réquisitions sur des données de trafic des téléphones portables), sans oublier le Pass Navigo, le télépéage, la carte bancaire, et puis enfin le fait que l’on peut se trouver dans des fichiers dans le domaine fiscal, social/santé, police… Si vous regroupez tout cela, vous vous rendez compte que la personne est d’une certaine manière « triangulée ».

ITespresso.fr : Avec ou sans Google Street View, nous sommes déjà tous fichés, tous repérés et donc répérables ?
Alex Türk : Par un biais ou par un autre, une personne pourra toujours être repérée. C’est la que se trouve le danger et nous avons beaucoup de difficultés à le faire comprendre. Car bien souvent, les gens ne prennent en compte qu’un problème à la fois…Il y a Street View d’un côté, mais aussi les informations qui restent sur Google et permettent de faire un profilage commercial des personnes compte tenu de la durée de rétention des données. Sans parler des réseaux sociaux évoqués précédemment. C’est cet ensemble qui crée un modèle de société différent de celui que nous connaissons aujourd’hui.

(lire la fin de l’interview page 3)

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