Interview Franck Ebel : « Apprendre l’algorithmique et titiller la curiosité de l’étudiant »

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Co-auteur d’un ouvrage sur l’algorithmique, Franck Ebel veut donner envie aux étudiants d’aller plus loin. Il supervise aussi le Hacknowledge-Contest Europa Africa, qui passe par le Québec cette année.

Spécialiste des techniques fondamentales de programmation (mais aussi de la sécurité IT et du hacking), Franck Ebel a co-écrit avec Sébastien Rohaut un ouvrage d’informatique technique sur l’algorithmique* destiné en priorité à des étudiants (BTS, DUT informatique, première année d’ingénierie…) avec un focus sur le langage Python.

Pourquoi apprendre et comment à programmer ? Pour les autodidactes, étudiants et professionnels ancrés dans le secteur IT, la notion des algorithmes est essentielle. Franck Ebel explique pourquoi l’algorithmique est devenue incontournable et comment donner aux étudiants l’envie d’aller plus loin.

Parallèlement, à travers l’association ACISSI, Franck Ebel prend aussi en charge l’initiative de hacking éthique baptisée Hacknowledge-Contest Europa Africa qui passe cette année par le Québec avec une session prévue le 22 août (voir la dernière question à ce sujet).

(Interview réalisée par mail dans la semaine du 11 au 15 août)

ITespresso.fr : Big data, intelligence artificielle, publicité programmatique…On revient toujours à la notion d’algorithme. Pourquoi est-ce essentiel ?
Franck Ebel : Je commencerai par une citation de Gérard Berry [professeur au Collège de France. Chaire d’Algorithmes, machines et langages, ndlr] : « Un algorithme, c’est tout simplement une façon de décrire dans ses moindres détails comment procéder pour faire quelque chose. Il se trouve que beaucoup d’actions mécaniques, toutes probablement, se prêtent bien à une telle décortication. Le but est d’évacuer la pensée du calcul, afin de le rendre exécutable par une machine numérique (ordinateur, ..). On ne travaille donc qu’avec un reflet numérique du système réel avec qui l’algorithme interagit. »

L’algorithmie est indispensable pour prendre de la distance sur le langage, un algorithme peut en théorie être traduit dans n’importe quel langage. Pour simplifier, c’est le langage universel de la programmation. Il suffit ensuite d’en faire la traduction dans le langage de notre choix.

L’expérience dans l’enseignement montre que passer par l’algorithmie permet à l’étudiant de structurer son programme, de l’optimiser. La dernière étape, peut-être la moins importante, est la traduction (du point de vue de la réflexion).

Le retour en entreprise montre que passer par l’algorithme permet de gagner du temps de programmation, de cerner les bugs rapidement et de pouvoir modifier aisément une partie du logiciel et donc de le rendre évolutif et modulable.

Le plus important n’est pas de trouver « l’explication » d’un problème ( le programme dans un langage précis) mais l’équation mathématique de ce problème (l’algorithme) ce qui est vrai pour l’informatique mais aussi pour d’autres sciences.

ITespresso.fr : Comment faire aimer aux étudiants la dimension d’algorithme ? Un peu rebutant non ? L’Ecole 42 de Xavier Niel, est-ce une bonne formation ?
Franck Ebel : L’apprentissage de l’algorithmie est , il est vrai, de premier abord rebutant. Il n’y a pas de solution miracle mais plutôt des enseignants motivés et imaginatifs.  Il faut titiller la curiosité de l’étudiant et proposer des problèmes intéressants et amusants pour eux. Par exemple travailler sur des jeux basiques au début comme « tic tac toe », un « morpion » ou autre pour ensuite partir sur des jeux avec des algorithmes plus complexes (Le jeu de la vie, Master Mind …).

L’école 42 est à la base une excellente idée, je trouve, puisque donnant sa chance à tout le monde quel que soit son diplôme, donc privilégier les compétences aux diplômes. Ce qui est dans l’esprit contraire de la France. Etant expert en sécurité informatique, je suis constamment en contact avec des jeunes surdoués dans ce domaine mais souvent sans diplômes. Combien de fois ai-je rencontré ces personnes dans des concours de hacking tel que le Hacknowledge Contest Europe/Afrique que j’ai créé ou la NDH (Nuit du Hack) organisé par HZV.

J’ai applaudi à la création de cette école. Mais ma crainte est que celle-ci (puisque sur le modèle de la piscine en début de formation comme certaines autres écoles) élimine naturellement ces personnes qui souvent ont perdu pieds dans le système scolaire « normal ».

Une école élitiste sur le modèle des grandes écoles américaines n’est peut-être pas la meilleure solution pour essayer de trouver les cerveaux informatiques qui, pour certains, rejettent l’éducation traditionnelle.

ITespresso.fr : Que pensez-vous de l’idée de s’initier au langage informatique en milieu scolaire ?
Franck Ebel : L’informatique s’invite partout , nous vivons informatique. Les ordinateurs portables, les tablettes, les smartphones, les objets connectés ( montres, téléviseurs, réfrigérateurs, brosses à dent … ) , tout est informatique, tout est connecté.

Notre vie sera de plus en plus dirigée par l’informatique et donc l’algorithme. Il parait pour tout le monde évident d’enseigner le français dés le plus jeune âge puisque nous l’utilisons tous les jours… comme l’informatique maintenant.
Je crois donc qu’il est devenu indispensable d’apprendre le langage informatique des que possible tout comme l’anglais. Mais on voit ce que l’apprentissage de l’anglais donne en France , j’espère donc que celui dédié à l’informatique sera de meilleure qualité.

ITespresso.fr :  Pourquoi cette initiative Hacknowledge Québec organisée le 22 août ?
Franck Ebel : Avec quelques collègues universitaires et professionnels, je suis dans le milieu de l’informatique et surtout de la sécurité informatique depuis plus de 15 ans. Nous avons côtoyé certains jeunes qui ont abandonné le milieu scolaire et qui sont des experts en hacking. Nous serions dans un pays qui considère plus les compétences que les diplômes, ils seraient à des postes importants en sécurité. Mais nous sommes en France…

Nous avons créé d’abord les 24 heures des IUT informatiques de France en 2006 et l’avons organisé 5 ans à Maubeuge avant qu’enfin, cet événement change de lieu et tourne dans différentes villes (Montreuil, Orléans, Strasbourg, Bordeaux …). Dans cet événement, 8 heures étaient consacrées à la sécurité informatique (8 heures de développement, 8 heures de création de site web et 8 heures de sécurité).

En 2008, en parallèle, nous avons organisé le premier Hacknowledge France où nous accueillions toutes personnes diplômées ou non qui s’affrontent sur des épreuves diverses.

L’année dernière, nous avons décidé d’étendre le Hacknowledge à l’Europe et l’Afrique avec 7 Pays (Maroc, Tunisie, Algérie, Côte d’ivoire, Espagne, Belgique, France). Les équipes gagnantes de chaque pays sont venues pour la finale en France à la gare numérique de Jeumont et l’équipe gagnante est partie tous frais payés à Las Vegas pour la célèbre Defcon.

Cette année, nous réitérons le Hacknowledge Contest avec plus de 13 pays et avons décidé de faire une étape exceptionnelle au Québec.

Le but est de faire rencontrer les hackers d’Europe et d’Afrique avec ceux du Canada. L’échange d’idée, de culture , de technique nous permet cette veille technologique qui est si importante dans notre métier.

Nous souhaitons aussi casser l’idée que le Hacker est un « méchant » , c’est tout le contraire. Le hacker trouve les failles et aide à les sécuriser pour justement empêcher les pirates de les exploiter.

* Algorithmique – Techniques fondamentales de programmation. Par Franck Ebel et Sébastien Rohaut. Collection Ressources Informatiques, Editions ENI.

Franck Ebel : expert multi-casquettes dans la sécurité IT
Enseignant à l’IUT Informatique de Maubeuge, Université de Valenciennes, Commandant de Gendarmerie réserviste et spécialiste de la lutte anti-cybercriminalité, Franck EBEL est expert en failles applicatives. Il a créé la licence professionnelle « ethical hacking » appelée CDAISI, la seule en Europe en sécurité dite offensive. Il est certifié CEH, OSCP et Wifu. Il forme les Ntech de la gendarmerie de la région Nord-Pas de Calais et le CICERT de Côte d’Ivoire. Il est aussi Président de l’association ACISSI et organise chaque année le challenge de hacking « Hacknowledge Contest Europa-Africa ». Il est aussi membre de l’AFPY, association francophone pour Python. Il donne des conférences en Europe et en Afrique sur Python, les logiciels libres et la sécurité informatique (Source communication Editions ENI)

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